5.5 Designers

Dès leur rencontre sur les bancs de l’école Olivier de Serres, les fondateurs du studio qui n’est alors qu’un collectif d’étudiants se retrouvent et font mouche autour d’un projet engagé. Sujet de fin d’études développé pour le secours populaire, Réanim consiste à redonner vie à du mobilier meurtri en soignant ses blessures. Mieux qu’une simple restauration à l’identique, les objets traités subissent une véritable opération de chirurgie réparatrice qui, en réhabilitant leur fonction première, les réinsère dans la vie moderne : « Réanim a marqué le point de départ de notre association et reste, plus de 10 ans après, emblématique d’une démarche et d’un état d’esprit qui nous sont propres. »
Dès l’origine, la volonté est ainsi de traiter l’objet comme un sujet à part entière, de se poser la question de sa sauvegarde mais aussi de sa vocation et de son bien-fondé « .

"Aujourd’hui, tout existe déjà, il n’y a aucune censure : on peut produire absolument tout ce que l’on veut. Le designer doit se poser la question de ce qu’il apporte quand il crée, s’il est légitime…"

C’est ce qui nous motive encore et surtout ce qui peut nous freiner. » C’est en partant de ce postulat fondamental, qu’est né le projet des Objets ordinaires, un an après Réanim.

Plutôt que d’utiliser des matières premières pour aboutir à de banales nouveautés, le collectif entend restaurer l’image d’une sélection d’objets existants, fonctionnels, légitimes de par leur utilité certifiée mais souffrant d’un manque de reconnaissance évident. Cintres, multiprises, presse-citrons à l’ancienne ou autre « objets premiers » sortent ainsi du placard pour être starifiés à l’aide de « placébos » qui, sans les dénaturer, redorent leur image et leur confèrent le statut mérité d’icônes du design. « Cette collection a donc été exposée au salon du meuble dans une installation volontairement modeste, sorte de reconstitution d’un studio d’étudiant sous le titre Des objets ordinaires dans un appartement banal. C’était assez drôle à l’époque de voir notre projet au milieu des immenses stands d’éditeurs classiques et consacrés. » Aux antipodes d’un courant esthétisant et élitiste qui érige les designers en garants du bon goût, la philosophie 5.5 consiste en effet à viser juste pour être accessible au plus grand nombre. Après 10 années de créativité médiatisée mais cantonnée aux galeries et musées, le collectif est devenu studio pour mieux investir les supermarchés.

« À un moment donné, malgré la reconnaissance de notre travail, nous nous sommes sentis un peu frustrés car trop isolés, nos productions étaient très médiatiques mais on ne pouvait pas les trouver. Nous avons voulu faire un travail qui existe et qui touche le plus de monde possible :

"pour un designer il n’y a rien de plus excitant que de voir ses objets vivre dans le quotidien. "

Pour son dixième anniversaire, le collectif se mue ainsi en studio, s’entoure d’une équipe sous- divisée en cellules et officialise les tâches particulières ou transversales de chacun des membres fondateurs. La clef USB en forme de clef créées pour Lacie marque alors un véritable tournant : vendue à des milliers d’exemplaires, elle prouve enfin que « notre design sympathique peut aussi générer du business ».

Scotch-Brite, Häagen-Dazs, Renault ou encore Moulinex : de nombreux et fameux industriels mais aussi des marques de luxe comme Veuve Clicquot font désormais appel à l’esprit 5.5 sur des problématiques de design produits, de packaging ou encore d’aménagement d’espace. « Si les projets sont variés, ils ne se ressemblent jamais. Nous faisons le grand écart en permanence et revendiquons le fait de ne pas avoir une griffe ou un style particulier. La seule constante c’est l’esprit que nous insufflons dans nos créations ». Des idées innovantes et astucieuses, une dimension pratique et une bonne dose d’humour : pour être certifiée 5.5, la recette d’un bon design réside dans le juste dosage de ces ingrédients de base. À un moment donné, malgré la reconnaissance de notre travail, nous nous sommes sentis un peu frustrés car trop isolés, nos productions étaient très médiatique mais on ne pouvait pas les trouver. Nous avons voulu faire un travail qui existe et qui touche le plus de monde possible : pour un designer il n’y a rien de plus excitant que de voir ses objets vivre dans le quotidien. » Aujourd’hui, la mutation du collectif en studio ne change pas le postulat de départ : l’objet, toujours sujet à part entière, matière à rire et à réfléchir est aussi le meilleur des communicants. « On s’intéresse de près au concept de ‘productizing’ qui implique qu’un bon produit est la meilleure des campagnes de publicité. » Fort de cette constatation, le studio impose sa vision bien au delà du produit et se pose en véritable stratège pour œuvrer aux services de ses différents clients, en se gardant toutefois de se prendre trop au sérieux. « Un consommateur qui rit est un consommateur séduit ! » : trublions du design, provocateurs, ou artisans de l’idée, les fondateurs du 5.5 Designstudio sont avant tout de grands enfants qui ont su faire de leurs jeux préférés un savant métier.

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